Réseaux sociaux : quand tout a basculé

Après une décennie ininterrompue d’un développement exponentiel des réseaux sociaux, l’année 2018 marque le pas d’un essor effréné. Assistons-nous au début d’un désamour ou bien arrivons-nous à la maturité des médias sociaux ? Regardons dans le rétro avec application…

 
Une tendance transnationale

L’ARCEP publie son baromètre annuel des pratiques numériques. L’institution constate une stagnation de la pratique du média social en France. Avec un taux d’utilisation identique à 2017 s’élevant à 59% d’utilisateurs, les réseaux sociaux marquent pour la toute première fois un arrêt de la croissance de leurs audiences. Et plus surprenant encore, cette pratique diminue chez les plus jeunes. Le taux d’utilisation chez les 18-24 ans passe de 96% à 93%. C’est encore plus marqué sur la génération des 12-17 ans, en retrait de 8 points par rapport à l’année passée à 84%. Alors, constatons-nous le début d’un désamour pour le média social ou bien arrivons-nous à maturité d’un marché aux évolutions spectaculaires ?

On pourrait se dire que le phénomène se cantonne à l’intérieur de l’hexagone . Or ce ralentissement est également observé en Europe et de l’autre côté de l’Atlantique. Le pays créateur et précurseur du social média, les Etats-Unis, mesure lui aussi une stagnation du nombre d’utilisateurs. La récente enquête menée par le centre de recherche américain Pew Research mesure que le taux d’utilisation des réseaux sociaux atteint 69%, soit un résultat identique à 2017.

Le grand chamboulement

Ce qui est certain, c’est que l’année 2018 laissera des traces indélébiles auprès de l’opinion. Et plus particulièrement avec Facebook. Car même si les réseaux sociaux ne le limitent pas seulement à l’outil de Mark Zuckerberg, c’est bien lui qui fait figure de locomotive avec le plus grande nombre d’utilisateurs, soit 2.2 milliards de personnes dans le monde. Alors quand le colosse Facebook tousse, c’est bien tout le social media qui s’enrhume. Déjà pointé du doigt depuis plusieurs années dans l’exploitation de données personnelles, la compagnie de Mark Zuckerberg est sévèrement chahutée. En mars 2018 éclata le scandale Cambridge Analytica qui jette un vent de suspicion durablement envers le public. Son opacité quant à l’exploitation des données des utilisateurs a toujours alimenté beaucoup de fantasmes et généré une méfiance de plus en plus aigüe. Le gouvernement britannique lui assène un nouveau coup dur en rendant public des documents confidentiels liés à sa gestion des informations personnelles. L’entrée en application du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en mai 2018 vient également cristalliser politiquement la méfiance envers Facebook et consorts. L’entreprise de Mark Zuckerberg, une fois encore, est encore en première ligne.

Toutefois Facebook n’est pas le seul dans la tourmente. Snapchat vit aussi un revers significatif cette année avec une perte sèche de 3 millions d’utilisateurs actifs en seulement 3 mois. En pleine crise de croissance, le réseau social préféré de la génération Z fait face à une concurrence rude, paye des choix stratégiques douteux et peine à convaincre en bourse.


Sur une pente dangereuse

Ce phénomène laisse à penser que les réseaux sociaux abordent une nouvelle phase de leur cycle de vie. Ils quittent l’âge de la croissance vers celui de la maturité. Car, sous sa forme actuelle, le social media tend à se standardiser. Toutes les plateformes se singent et copient les fonctionnalités rivales. Un des exemples les plus flagrants est celui de la Story, originellement développée par Snapchat. Aujourd’hui, tous les autres supports ont implanté leur module de Story dans leur interface. Même LinkedIn, souvent retardataire, a annoncé l’intégration de Story le mois dernier. Et nous pouvons décliner cet exemple à la messagerie instantanée, au live streaming et aux filtres photos. Le principal attrait d’une plateforme social réside bien dans son unicité et sa différenciation. Leur standardisation vient donc les banaliser, engendrant une perte d’intérêt de la part des utilisateurs.

Un autre phénomène monte en puissance depuis quelques mois. C’est celui de la désertion de célébrités de leurs comptes sociaux. Une grande responsabilité est portée par les comportements haineux et ceux qu’on appelle les haters. Avec fracas, Karine Le Marchand a, par exemple, annoncé en mars 2018 qu’elle quittait Twitter en critiquant le « déversoir de haine ». Et le choix de l’animatrice de M6 est loin d’être un cas isolé. Justin Bieber, Michel Polnareff, Benjamin Biolay, Michel Cymes, ont annoncé leur retrait de l’oiseau bleu exactement pour les mêmes motifs. Ces personnalités, en tant qu’influenceurs, font par la même occasion passer le message des risques que présentent les réseaux sociaux.
Outre la pression politique et la saturation des influenceurs, un nouveau front s’ouvre également : celui du risque sanitaire. Plusieurs études européennes et américaines pointent du doigt la corrélation entre un sentiment de mal-être et la pratique des réseaux sociaux. Leur utilisation passive alimenterait stress et risques dépressifs. Certaines de ces études arrivent à la conclusion que limiter l’utilisation des réseaux sociaux à 30 minutes par jour ferait baisser le niveau d’anxiété et réduiraient les risques de développer une dépression. Encore au stade théorique, on peut aisément imaginer que des préconisations verront le jour sur l’éducation et l’usage parcimonieux de ces outils.


Les réseaux sociaux, sous leur forme actuelle, traversent ainsi une période de fortes turbulences et font l’objet d’une vraie crise d’adolescence jumelée à de la défiance. Le besoin d’éthique devient central de la part des utilisateurs tant certaines dérives échappent à tout contrôle. Et nous n’avons pas encore abordé le thème du complotisme et des fake news qui fleurissent massivement sur tous les médias sociaux. Néanmoins, malgré cette stagnation, la pratique du média social est largement ancrée dans le quotidien de toutes les tranches d’âge. Sentant le vent du boulet se rapprocher, tous les réseaux sociaux entament une phase de mutation orientée sur deux leviers : la production de contenus et le déploiement du social commerce. Reste à savoir si cette mutation comprendra également une considération du cri d’alerte éthique envoyé de toutes parts.

Maxime Poux, directeur de la communication du groupe Ginger…  invité de la team We Are COM !

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