L’écologie est en pleine transition, ça tombe bien, la communication l’est aussi ! 🤓 Communicants, comment prendre conscience et faire prendre conscience des défis que nous avons à affronter ? De quelle manière engager autour d’une écologie constructive ? Et plus largement, comment construire une nouvelle réalité face aux enjeux environnementaux actuels ?

La team We Are COM a rencontré l’expert de la communication responsable des organisations, l’éminent auteur engagé pour la transition écologique, Thierry Libaert. ♻️ En avant pour une leçon de transition.
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Bonjour Thierry, en tant qu’auteur expert de la communication des organisations, pouvez-vous nous dire en quoi la communication est en pleine transition ?
La transition de la communication est double. D’une part, la structure même de la fonction communication évolue en permanence. C’est d’ailleurs ce qui fait toute la difficulté et tout l’intérêt du métier. Les problématiques actuelles à l’exemple de la défiance, de la désinformation, le renouvellement incessant des outils numériques, et l’intensification constante des règles de droit, sont autant de facteurs de remise en cause de cette fonction communication.
D’autre part, la communication participe à la transition écologique. Le secteur doit désormais, et plus que jamais, prendre part à cet impératif environnemental.
Vous êtes un acteur engagé pour la transition écologique, qu’entendez-vous par « écologie constructive » ?
L’écologie constructive émane d’un questionnement. Depuis les années 2010, on se questionne sur le rôle de la publicité à l’ère de la transition écologique, sur le rôle de la communication responsable face à des enjeux de taille, tels que le dérèglement climatique ou la déforestation. Il me semble que de plus en plus les communicants s’interrogent sur la manière dont ils peuvent prendre part aux évolutions de la société.
Je suis convaincu que le moyen le plus efficace pour faire prendre conscience des problématiques environnementales actuelles, au niveau sociétal, reste l’approche positive. Il faut mobiliser en donnant envie, loin des discours linéaires, alarmistes, moralisateurs et incantatoires. Les communicants ont aujourd’hui le devoir de proposer de nouveaux récits, pour construire un nouvel imaginaire.
Les communicants ont aujourd’hui le devoir de proposer de nouveaux récits, pour construire un nouvel imaginaire.
Comment faire en sorte que les communicants prennent conscience de leurs responsabilités face aux enjeux du dérèglement climatique et de l’érosion de la biodiversité ?
En premier lieu, je dirais que cette prise de conscience passe par l’information. Il importe de connaître et de comprendre l’état des choses et l’importance des enjeux, pour pouvoir aller plus loin dans l’engagement. Cela peut paraître anodin, pourtant l’accès à ces informations n’est pas si évident. Il faudrait que les écoles de communication et de publicité proposent davantage de modules sur les enjeux environnementaux. C’est d’ailleurs le défi que tente de relever l’Association des Agences Conseils en Communication – AACC.
Les communicants doivent également prendre conscience qu’ils n’ont plus le choix. Dorénavant, les sujets liés à la responsabilité sont devenus des hard laws. C’est-à-dire que, la législation ne cessant de s’intensifier, les professionnels du secteur doivent à présent affronter une multitude de nouvelles régulations extra-financières.
Enfin, la prise de conscience doit toucher au sens même des métiers de la communication, dont le rôle consiste à apporter un récit porteur de sens à la société. Il faut en finir avec le paradigme de la communication instrumentale. De plus en plus, la communication doit être de nature prédictive !
Il faut en finir avec le paradigme de la communication instrumentale.
Quelles sont les dernières bonnes pratiques que vous avez pu observer en matière de communication responsable ?
Ces dernières années, j’ai pu observer un changement d’attitude très positif autour du sujet de la responsabilité de la communication, alors qu’auparavant il était très compliqué d’aborder ces problématiques avec les acteurs du secteur. Dans une optique très lobbying, les entreprises se sentaient invariablement attaquées. Aujourd’hui, ces interlocuteurs se positionnent moins sur la défensive et le dialogue s’en voit facilité. Ils ont compris que la communication devait évoluer et s’adapter au sens de l’histoire et à ses enjeux.
De manière générale, on observe aussi que les actions de communication responsable sont davantage intégrées aux stratégies globales des organisations. L’opération one shot, un peu isolée, fragmentée et parcellaire ne suffit plus. Désormais, les sujets environnementaux se vivent sur le long terme et influencent véritablement les politiques stratégiques des entreprises.
D’ailleurs, la communication responsable ne se résume plus à éviter le greenwashing, ce qui était un peu réducteur. La vision de la responsabilité s’est élargie : impact environnemental des actions de communication, inclusion, diversité, lutte contre les stéréotypes, co-construction, relations partenaires, etc. Tout un travail s’effectue pour repenser les modes de communication, aujourd’hui les communicants réfléchissent en mode « impact ». C’est ce que j’appelle la « Responsabilité Elargie » du Communicant.
Pourquoi dans 85% des publicités, les figures d’experts sont encore des hommes aux tempes grisonnantes ? Justement, c’est en dépassant ces stéréotypes, que la création de nouveaux imaginaires devient possible. De nombreux collectifs et associations œuvrent en ce sens et encouragent les communicants à tenir ce rôle phare pour les années à venir.
Désormais, les sujets environnementaux se vivent sur le long terme et influencent véritablement les politiques stratégiques des entreprises.
Toujours en matière d’engagement, vous avez co-fondé l’Académie des Controverses et de la Communication Sensible. Quel regard portez-vous sur la confrontation des communautés ? Comment peut-on lutter contre les « fake news » ?
La recette miracle pour lutter contre les fake news n’existe pas, puisqu’elles sont par essence protéiformes et mutantes. La stratégie la plus efficace à adopter reste d’isoler les irréductibles, ceux pour lesquels il serait vain de tenter de convaincre. Lorsqu’on se penche sur les comptes les plus propagateurs de fake news, nous trouvons un conglomérat de pro-russe, climato-sceptiques et anti-vax, et beaucoup de bots, ne perdons pas de temps.
Lutter contre la désinformation, c’est plutôt tenter de convaincre les indécis, ces personnes qui ne sont pas des climato-sceptiques rigides, mais des individus qui se questionnent sur l’impact de la crise climatique sur leurs modes de vie. Aussi, pour les convaincre, il est essentiel d’intégrer la dimension de justice sociale dans cette lutte, nous devons nous attaquer aux inégalités, avant de nous attaquer aux fakes news. Il faut rassurer les plus défavorisés, leur rappeler que ce n’est pas à eux de trinquer.
Par ailleurs, il importe que les leaders d’opinion, en matière de climat, reprennent la parole et ils commencent à être nombreux à s’engager activement. Ces experts ont très longtemps été absents des réseaux sociaux. Pourtant, c’est aussi là qu’il leur faut combattre la désinformation.
Pour finir, et ce sujet est bien moins connu, il faut redoubler de vigilance en ce qui concerne la publicité numérique. En effet, 80% de cette publicité est programmatique, c’est à dire qu’elle s’opère automatiquement, sans intervention humaine. Or, nous nous sommes aperçus que beaucoup de ces flux publicitaires nourrissaient des plateformes de désinformation, car qui dit controverse, dit buzz. Fort heureusement, aujourd’hui, de nombreuses associations effectuent des veilles et préviennent les entreprises le cas échant. Malgré tout, ce sujet d’achat publicitaire reste une problématique.
Selon vous, à quoi ressemblera la communication des organisations dans les années à venir ?
Je n’en ai pas la moindre idée, je préfère toujours me méfier des prédictions. 😊
Concernant la communication responsable, je dirais que son avenir s’inscrira dans la pédagogie. Il faudra expliquer de manière très claire les enjeux mouvants et faire preuve de davantage de proportionnalité entre communication et engagements réels. Demain, la communication responsable sera également une communication de proximité, qui s’opérera sur le terrain, et une communication de preuves, qui se justifiera en permanence auprès de l’intégralité de ses parties prenantes.
En d’autres termes, on assistera à l’émergence d’une communication des « 5P » : Pédagogie, Proximité, Proportionnalité, Preuves et Parties prenantes.
On assistera à l’émergence d’une communication des « 5P » : Pédagogie, Proximité, Proportionnalité, Preuves et Parties prenantes.
Enfin, en tant qu’expert, auriez-vous un dernier conseil pour une communication plus responsable à donner aux communicants qui vous lisent ?
N’oubliez jamais que la communication commence par l’écoute. Dominique Wolton déclare à juste titre « Si tout le monde s’exprime, qui écoute ? ».
Intéressez-vous davantage à l’Europe pour anticiper les évolutions de vos métiers. Depuis plus de 12 ans que je travaille au Comité Economique et Social Européen, j’ai vu apparaître plus de sujets communication dans les 2 dernières années que pendant les 10 années qui ont précédé.
Enfin, communiquez en mettant tout en œuvre pour créer du dialogue. Je regrette d’observer que très peu de débats portent sur la communication et réunissent des communicants, notamment des publicitaires face à des associations de consommateurs et des ONG environnementales.
N’ayez pas peur de la confrontation, vous n’avez rien à perdre à essayer !
3 choses à savoir sur Thierry Libaert
Sa source d’inspiration au quotidien ? Thierry s’inspire en sortant de sa zone de confort. Régulièrement, il se rend dans une librairie et achète au hasard des livres et des revues qui dépassent ses domaines de compétences, pour s’ouvrir à d’autres mondes.
Sa campagne de communication préférée ? Il a été touché par la campagne écocitoyenne « Les Français » d’AXA France, lors de son expérience en tant que Président du Jury de l’Union des Marques en avril 2023. Une campagne bien relayée en interne et qui prend des risques. On regarde !
Ses engagements ? Thierry est engagé auprès d’une dizaine d’associations et de think tanks. Régulièrement, il essaye de renouveler ses actions bénévoles, en allant explorer de nouveaux terrains associatifs. Son plus ancien engagement ? Celui en faveur de la Fondation pour la Nature et l’Homme, dont il est membre du Conseil scientifique depuis 23 ans.